Premier contact avec le roman de Karl Nouail… Un titre marrant et plutôt accrocheur – Le Club des filles moches – qui contraste violemment avec l’irréelle jeune fille à la plastique irréprochable et plutôt darko-romantique, présente sur la couverture.
Face à cette présentation paradoxale, j’étais intriguée mais également réticente à l’idée de me plonger dans un nouveau relatant sans doute les aléas sentimentaux d’une bande de filles plus ou moins complexées. « Déjà vu », me suis-je dit. C’est donc avec une certaine condescendance que j’ai ouvert le livre. Or, dès la première page, surprise ! Aucune niaiserie à l’horizon !
L’histoire présente Abraham – narrateur et personnage principal – à deux moments clefs de son existence : à l’âge de 16 ans, lors de son entrée au lycée, puis 20 ans après lorsqu’il mène une brillante carrière de directeur marketing. Ces deux époques permettent de dessiner le caractère d’un personnage contradictoire, autant attachant qu’agaçant. Ado tiraillé par désirs et angoisses, s’initiant aux excès et aux contraintes de la vie de jeune adulte, entre drague, cuite et conflits avec la famille, Abraham (Ab) nous livre ses pensées sans détours :
« En offrant à leurs gamins des « cadeaux utiles », les parents veulent les arracher au monde de Casimir. C’est une méthode d’une grande perversité. A dix ans, ils m’avaient offert une couette. Une couette ! L’année suivante, pour me venger, j’avais écrit un poème pour l’anniversaire de mon père. » (Chapitre 4, p.26).
Jusqu’ici, l’ensemble est caustique et plutôt poilant, mais tout de même assez semblable à de nombreux livre dressant le portait de jeunes êtres (pré)pubères. Mais Karl Nouail crée un personnage intéressant en le dotant de caractéristiques originales comme par exemple une façon politiquement incorrecte d’évoquer ses origines (l’histoire tragique de ses ancêtres déportés devenant le moyen de séduire Marion, jeune fille fascinée par la mort). Mais là où Nouail parvient à nous captiver définitivement, c’est quand il se penche sur le fameux « Club des filles moches » et sur la problématique de la laideur dans notre société :
« Une fille dans la bibliothèque attira soudain mon attention. Elle était bizarrement accoutrée (…). Elle avait sur le visage un sourire plein d’assurance, une expression qui réfutait quelques vérités lycéennes. 1. Si t’es moche, t’es malheureuse ; 2. Si t’es moche, il ne t’arrivera rien de bien ; 3. Si t’es moche, sois discrète…De temps en temps, elle levait les yeux à la ronde, plissait les narines avec un air de défi et produisait une sorte de ricanement silencieux, comme si elle parvenait à se faire rire toute seule par des observations sur le monde, les gens, la société. Cette attitude indiquait une vie intérieure exubérante ; avec une telle richesse, la solitude n’existait pas (…). J’ai continué l’examen de sa figure. Je n’arrivais pas à m’en détacher ; plus je la regardais, plus je sentais grandir en moi l’admiration. Elle donnait tous les signes d’une grande force de caractère. La façon qu’elle avait d’assumer sa laideur ! De trimballer sans complexe une carcasse toute moche et mal foutue ! » (Chapitre 6 – p.41 et 42).
Cette fille à la laideur fascinante se lie d’amitié avec Ab et lui demande d’imaginer un logo pour le fameux Club des Filles Moches. Une fois le logo terminé, Abraham obtient le droit d’être le premier et unique membre masculin de ce club et commence à participer aux réunions secrètes au cours desquelles les membres brûlent Barbie et Ken – symboles de la beauté- se saoulent au whisky et écoutent Indochine à fond en rêvant d’actions radicales et révolutionnaires. Ab, à la fois amoureux de la belle Marion et captivé par la détermination des Filles Moches, se construit entre ces deux pôles féminins, non sans conflits.
Durant la première moitié du roman, les chapitres consacrés à Ab-adolescent timide, rêveur et plein d’espoir nous accrochent beaucoup plus que ceux qui décrivent la vie agitée d’un Abraham trentenaire et cynique, évoluant dans le monde compliqué d’une entreprise de marketing et décidé à engager une nouvelle assistante selon des critères exclusivement esthétiques. Cette dernière « tranche de vie » rappelle par moments les personnages désabusés de Michel Houellebecq et les théories sur la toute puissance de la beauté font échos à l’idée houellebecqienne selon laquelle le pouvoir sexuel est le véritable enjeu depuis la fin du XXe siècle. Pourtant, dès la deuxième moitié, la trame se complexifie et les deux périodes temporelles commencent à s’éclairer l’une l’autre jusqu’au dénouement surprenant et saisissant.
En somme, un roman bien construit, une intrigue à double niveau et qui tient la route, un joli portrait d’adolescent(es) pas du coup caricatural. Un regard tendre et un peu triste porté sur le mal-être de ces créatures en devenir, une jeunesse de fin de siècle, pour laquelle les idéaux semblent vidés de leur contenu : la Liberté se résumant désormais à une promenade nocturne en vélo et la Révolution à un graffiti un peu raté…